06 Jan
06Jan

Au lendemain de la guerre, la Bretagne doit se relever d’un conflit particulièrement éprouvant et dévastateur. Ses principales villes portuaires sont en ruines suite aux bombardements alliés et les Bretons ont payé un lourd tribut, qu’ils fussent engagés dans les rangs de l’armée, ceux de la Résistance ou comme simples résidents voulant la survie de la famille. L’époque est à la reconstruction et la France demande à chacun de se relever les manches. Après avoir libéré Paris, les Bretons doivent préparer les terroirs agricoles à nourrir le plus grand nombre.

Dans les années 60, la Bretagne n’est plus exsangue et une nouvelle réaction de survie, pas forcément consciente, va pousser l’agriculture bretonne à se moderniser. La Bretagne doit survivre par ses propres moyens face au centralisme économique et politique, tout en maintenant un soutien constant à la forte demande de l’Etat.

Des idées naissent et les Bretons s’organisent. La mécanisation des techniques, les groupements d’exploitations, le remembrement des terres, l’électrification, la comptabilité d’exploitation… De nouvelles méthodes imposées par les plus jeunes, ces derniers souhaitant même l’exode rural pour avoir les mains-libres sur des parcelles préparées à augmenter considérablement la production. L’élevage suit le même chemin mais plutôt que d’agrandir les surfaces nécessaires, il devient intensif. Il faut produire le plus possible de poulets, de bovins… ce qui n’est pas sans répercussion sur les surfaces consacrées à l’alimentation animale : 90 % de la surface agricole globale dans les années 80. On oriente l’agroalimentaire vers de nouvelles productions comme le maïs pour l’agriculture et le porc pour l’élevage.

Lors de cette profonde mutation, où la cohésion sociale est mise à mal, les Bretons vont inventer le mutualisme. Certains y verront une sorte de compromis entre le capitalisme et l’économie socialiste. De grandes coopératives sont créées, la Bretagne innove avec force et montre l’exemple, puis devient la première « région européenne d’agriculture et d’élevage d’Europe ». Dans ce contexte, presque les ¾ des porcs produits sous l’étiquette « française » sont bretons. La filière porcine se dote d’un nouveau système de cotation en bourse, le marché au cadran de Plérin autour duquel plusieurs groupements apporteurs et acheteurs décident des prix.

 

Une production forte mais en déclin

Environ 32 kg de viande de porc sont consommés par habitant en moyenne par an. La baisse est d’environ 3 % par an. Malgré la montée en gamme et en dépit d’une progression supérieure à la demande dans l’Hexagone, la filière est en crise. En 16 ans, le nombre des exploitations porcines spécialisées s’est réduit d’un quart (http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/R5317A18.pdf).

L’évolution du cours du porc est liée à plusieurs facteurs. En 2015, la production subit une crise majeure. Les deux plus gros abattoirs que sont la Cooperl et Bigard-Socopa (30 % des achats dans l’Hexagone et ils sont aussi de gros exportateurs) quittent le marché au cadran pour sortir leur entreprise de la concurrence. Inversement, les importations de porc par la Chine ont généré fin 2016 la hausse de son prix au kilo jusqu’à ces derniers mois où le recul des importations chinoises engendrent à nouveau la baisse des cours.

La surproduction européenne ; la demande du marché Chinois ; la concurrence allemande, espagnole et américaine ; les marges imposées par la grande distribution et les abattoirs ; l’embargo russe imposé par l’Europe Franco-allemande… sont autant de facteurs définissant le prix du porc et celui payé aux producteurs. L’Allemagne et l’Espagne creusent un écart de valorisation de plus de vingt centimes sur notre marché intérieur et sur l’export.

En Allemagne, les éleveurs de porc emploient une main d’œuvre étrangère roumaine, polonaise et hongroise mal rémunérée. De plus, les cochons sont élevés dans des conditions intensives extrêmes et sont surmédicalisés à titre préventif. La concurrence est rude et aucun salaire plancher européen n’est défendu par les Etats membres. La qualité est tirée largement vers le bas.

La consommation de viande est en baisse depuis bientôt 10 ans et celle de viande de porc recule en Europe depuis plus longtemps encore. Les raisons sont doubles :

-       La viande de porc a parfois mauvaise presse. Outre les conditions d’élevage précitées, depuis le développement des mouvements Vegans, le « consommateur » prend plus ou moins conscience de la condition animale, du mode d’élevage intensif, de l’enfermement des animaux, du nourrissage jusqu’à l’abattage. La cause est noble. Parallèlement, l’élevage de porc bio se développe rapidement mais il reste encore assez marginal.

-       La tendance des collectivités ne va pas dans le sens des éleveurs et du marché du porc en général. On compte de plus en plus sur les collectivités pour l’éducation alimentaire et les cantines se doivent être exemplaires pour les usagers, leurs familles. Or, dans les foyers, les études nous montrent que nous sommes bien loin des efforts et du suivi effectué par des nutritionnistes professionnels. Nous mangeons trop gras, trop salé, trop sucré, pas assez équilibré… La pression est forte sur ces collectivités qui doivent répondre à de nouveaux critères et notamment celui des croyances religieuses. Marginal il y a une trentaine d’année, l’islam impose désormais son mode de consommation. Certaines cantines scolaires de la banlieue de grandes agglomérations servent plus de la moitié de repas sans porc aux élèves, parfois sans viande du tout puisque sans porc ne veut pas dire pour autant halal. Un autre problème apparaît quand le nombre d’enfants à qui sont adressés des repas végétariens boudent les légumes. Dans les établissements pénitentiaires, les fournisseurs et les personnels confirment que parfois plus des trois quarts des repas servis sont sans porc, si bien que la polémique porte désormais sur la généralisation de la viande hallal : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00977050
Enfin, des établissements évitent de servir du porc désormais, par facilité.

 

La Bretagne où l’élevage et la consommation de cochons sont ancrés depuis des siècles devra adapter ses pratiques et sa production face à une période d’instabilité démographique, d’émigration et d’immigration : http://7seizh.info/2017/12/29/population-chomage-vrais-chiffres-de-bretagne/

La situation de périphérie européenne dans laquelle le pouvoir central nous relègue, l’exclusion des marchés, la centralisation des finances et donc l’absence de marge de manœuvre financière, avec au centre le déficit de pouvoir décisionnel, sont autant d’obstacles mettant des pans entiers de notre économie en péril. Nous pourrions les contourner et concevoir nos échanges plus loin en Europe et même au-delà des mers par une reprise en main politique. Une réappropriation salvatrice, légitime et nécessaire.


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